Juin232024

Yoda et les parallèles

Dimanche matin. 10h. Perfecto, baskets et lunettes noires. Dans la rue. Si j’avais une capuche je la mettrais. Il fait même pas chaud. Il fait même pas beau. J’ai dit non à ma copine. Le marché ce matin : l’enfer ! Va y avoir du monde. Ça m’angoisse. J’ai envie de croiser personne. 

 

Je rentre chez moi. Les écouteurs sur les oreilles. Dans ma bulle. Envie de parler à personne. Envie de voir personne. Je me retrouve à contre-courant du marathon.  Jamais vu autant de monde un dimanche matin. Pffff… Je maudis maître Yoda…

 

Yoda c’est une personne extraordinaire. C’est un modèle de sagesse ! Bon, version rock’n’roll la sagesse. Elle prend soin de nous. Elle est toujours de bon conseil. Enfin la plupart du temps…

 

Cette nana je la trouve admirable. Elle a traversé tellement d’épreuves. Dont l’une des plus éprouvantes possible : Être séparée de ses enfants contre son gré. Elle a mené des batailles. Elle a pas abandonné. Elle a gagné. 

Il y a quelques années, exilée dans une autre ville, elle comptait les pièces pour acheter un pain au chocolat à ses filles sur le chemin pour les amener voir la dernière expo qu’elle avait repérée pendant la semaine. La semaine où elle les avait pas et où elle imaginait et concoctait tout un programme merveilleux pendant ses 2 jours bien trop courts tous les 15 jours qu’elle partagerait avec elles. Chaque minute devait être exceptionnelle. 

Je sais pas comment elle a survécu. Elle sait pas trop non plus. Mais elle dit que c’est grâce à son amoureux aussi, qui à l’époque était son plan cul régulier. Et qui aujourd’hui est le père de sa 3ème petite merveille.

Aujourd’hui quand tu la connais, on dirait pas tout ça. Dans son joli jardin à faire pousser ses capucines et ses tomates, dans sa jolie maison, dans son joli quartier. Avec ses 2 grandes, sa mini pouce et son amoureux. Ça fait du bien d’avoir une image de famille comme la sienne. Elle est sortie du chaos et c’est vraiment très beau ce qu’elle en a fait. 

 

Hier soir, on passe prendre une bière chez elle avec Choucky avant de repartir voir un petit spectacle d’effeuillage burlesque. Avant qu’on s’en aille, elle nous tend un p’tit bonbon acheté au cbdshop, comme une maman attentionnée qui dirait à ses enfants de pas oublier de prendre leur goûter. 

 

Franchement je me suis pas méfiée. 

Le CBD ça me fait pas grand chose, ça me détend un peu à la rigueur. 

J’ai besoin d’une soirée toute douce et toute cool. Ça va pas. Je suis dans une sale phase. Accumulation de merdouilles depuis une semaine. Mon chat a littéralement chié dans la maison tous les jours, histoire que la symbolique de la semaine de merde soit subtile. Et en plus, aujourd’hui je me suis fait remonter les bretelles par mes copines sur mon comportement de chat sauvage débile avec un mec. J’ai pas chié dans son salon non plus… Mais bref, je m’aime pas beaucoup là tout de suite. Besoin d’un peu de détente. 

 

On part donc après avoir ingéré notre friandise en toute confiance.

Arrivées à la salle de spectacle, tout va bien. La drogue quand tu l’avales, ça met un moment à monter. Le show se termine, c’était cool et l’effet euphorisant commence. Tiens, c’est bizarre. Ça me fait pas ça d’habitude le CBD… 

Rapidement je vois bien que c’est parti pour une longue et progressive montée vers d’autres sphères. 

Le smile s’accroche au visage, le temps se distend, les fourmillements monte dans les jambes… Bon bah voilà, on est complètement défoncées… On rigole. On envoie une p’tite photo à Yoda. Qui rigole bien aussi. 

 

On sort. L’air frais ça fait du bien. Ça fait un peu moins de bien quand tu vois plus de flics que durant toute l’année cumulée. C’est forcément le soir où tu es complètement aware que tu croises autant de mecs en uniforme… à pied, en vélo, en caisse. Immobiles, en mouvement, en groupe, en ligne, en armes…

Ça me le fait moyen.

 

Les lignes droites et le parallélisme des rues, ça donne des effets d’optique de dingue. Tu vois les choses en perspective. Normal tu me diras. Mais non, c’est différent. En perspective plus. Les sons prennent une autre dimension. Tu entends tout, jusqu’à ta respiration et le sang qui circule dans ton cerveau. Franchement, même sensation qu’avec le Spacecake de l’autre fois. Merci Yoda ! Note pour plus tard : ne plus jamais prendre les produits du Maître ! Même si c’est cuisiné avec amour ! En tant que jeune padawan, c’est un coup à basculer du côté obscur de la force. On sait comment il a fini l’autre…

Je connais les phases d’après : cerveau qui fuse, perte de mémoire à court terme, mal aux abdos à force de se bidonner, idées de génie où t’as la sensation de te comprendre enfin et le monde autour de toi par la même occasion. T’as l’impression d’apprendre plein de vérités absolues. Idées et leçons que tu auras oubliées le lendemain, tu le sais déjà.

 

On se pose boire un verre et on commande une pizza. Faut que je mange. J’ai une dalle de folie et la bouche pâteuse de ouf. 

Épreuve suprême d’aller choisir ! Commander ! Et chercher! La pizza. Ouf ! On a réussi. Mais c’était chaud !

C’est forcément à ce moment précis que tu découvres l’allumée de cette rue : une p’tite meuf qui marche le long du trottoir d’un pas décidé avec sa pancarte brandie au-dessus de la tête et Taylor Swift à fond : « Dieu est le chemin » ou « Dieu te regarde! » je sais plus bien… Sans déconner, violent l’hallu! Je suis morte de rire. C’est pas une hallu. Elle existe vraiment cette meuf. Et manifestement elle passe souvent ici.

Manque plus qu’une licorne et je suis convaincue que je suis sous champi…

 

Et puis un petit sentiment de paranoïa qui s’installe. Ça me fait sourire au début. Tu sais bien que c’est pas réel mais c’est là quand même. Et ton cerveau étant en hyper vigilance, plus aucuns filtres. Tu vois tout, tu entends tout, tu sens tout. Ça va tellement vite dans ta tête que tout te paraît intensément lent. C’est trop pour moi, je sature. Faut que j’aille me coucher. Que j’éteigne l’interrupteur. J’avais pas envie de ça ce soir. 

 

On se rentre. Il est tôt. On passe par des raccourcis. Si Choucky me perd ici, je retrouve pas mon chemin c’est clair. Et je me crois dans un film de Tim Burton. Je serais pas étonnée de voir surgir une créature extraordinaire de sous les arbres. Version poulpe géant. C’est quoi ce passage d’ailleurs. C’est super beau. Cette longue ligne droite, ces parallèles, ce porche au bout du chemin qui laisse entrer la lumière des réverbères un peu plus loin. Le mur à gauche, aux pierres blanches irrégulières, les arbres à droite, avec les feuilles qui dansent dans le vent du soir. Flash : je suis persuadée que les impressionnistes prenaient du LSD, ou le bonbon de maître Yoda. Je trouve ça magnifique et effrayant à la fois. Choucky choisit ce moment pour me reraconter une scène ultra gore du film qu’elle est allée voir au cinoche ce week-end : un enfant dont on ouvre la boîte crânienne façon trépanation géante pour manger son cerveau à même le crâne. Déjà à jeun je suis pas fan… mais là naaaannn !!!! Les serials killers et les zombies sont déjà présents dans ma tête, on rajoute pas les enfants organes apparents ! 

On sort de cet endroit hors du temps pour tomber sur un groupe de quelques nanas dont l’une porte une bouée licorne rose géante. Normale. Limite prévisible. C’est ce soir que ça arrive…

 

Je me sens à 2 doigts du badtrip. Heureusement on arrive. On s’assoit dans le salon. Mon cerveau se remet à flamber. Je le sens chauffer. Littéralement. Ça va mieux quand je marche. Une partie des commandes est au moins occupée à me faire mettre un pied devant l’autre. On sort faire un tour de pâté de maisons. Les lignes droites des rues, je trouve ça fascinant.

Je rentre. Je vais au lit. 

Aujourd’hui suffit pour aujourd’hui. 

 

Ce matin. 10h. Perfecto, baskets et lunettes noires. Dans la rue. Les lignes droites ne me font plus le même effet. Il fait même pas chaud. Il fait même pas beau. Je peux reprendre mon bad de la veille sans les effets psychédéliques. C’est mieux. J’ai maudit Maître Yoda, mais en vrai elle y est pour rien. Et puis c’est à moi de prendre soin de moi. 

 

J’ai appris un truc hier soir. Je l’ai retenu : C’est fini les bonbecs pour moi! C’était pas du CBD en fait et il paraît que ce sera plus légal à partir de demain…

Peut-être qu’un jour, quand je planterai des capucines et des tomates ça me fera pas le même effet, mais c’est pas demain la veille que je vais me mettre au jardinage. Donc en attendant : fini les bonbons! Au moins pour 2 semaines…