Février092025

London chapter 4

Je suis partie en voyage avec ma sœur.

Elle a les yeux bleus.
Il parait qu’on se ressemble beaucoup. 
Des fois, sur des photos, même moi j’ai du mal à savoir si c’est elle ou si c’est moi.
Elle a les yeux bleus et elle est blonde.
C’est ma sœur. 

Mon premier road trip c’était avec elle. En Espagne. Dans sa vieille AX rouge. Sans clim. Avec « le chemin » de Kyo en boucle dans l’autoradio. On avait commencé le nôtre de chemin en Corse dans la micheline du train Ajaccio-Bastia. Après le bateau, les trains, un trajet en voiture avec le grand-père qui n’y voyait plus très bien, on avait récupéré son carrosse et atterri sur un banc à Barça avec des spécial K, du yop et une pastèque. Tout ça uniquement à l’aide d’une carte routière, de quelques pièces pour appeler les auberges de jeunesse surpeuplée et pas un mot d’espagnol en poche !
Depuis, on a pas mal baroudé, seule, avec nos sacs à dos. L’une en Inde, l’autre au Sri Lanka. L’une en Côte d’Ivoire, l’autre au Togo. On en a vécu des galères. On en a des péripéties au compteur.
Ça semblait plus safe et plus soft cette fois notre périple. Nous deux. Notre marmaille. Un avion. Un logement. Un rendez-vous pris avec Harry Potter. Mais le voyage n’est pas l’aventure si l’imprévu ne vient pas se joindre à nous. 
Elle est de la famille des warriors, ma sœur, une Shiva qui gère tout comme un chef d’orchestre. Alors j’ai confiance. J’ai confiance en elle. J’ai confiance en moi. En nous. Rien ne nous arrête. Rien ne peut nous arriver qu’on ne puisse traverser.
Il y aurait eu de quoi s’étriper. Il y aurait eu de quoi pleurer. Mais pas là… c’est ma sœur. Rien ne peut nous arriver si on est ensemble.
Bien sûr on s’est disputé… à peine… L’alcool aidant le soir du réveillon et puis la pression retombant… Fallait bien enlever la soupape… Mais… 

Elle a les yeux bleus.
Il parait qu’on se ressemble beaucoup. 
Des fois, sur des photos, j’ai encore du mal à savoir si c’est elle ou si c’est moi.
Elle a les yeux bleus et elle est blonde.
C’est ma sœur. 

Quand j’avais 18 mois et que je marchais depuis pas longtemps, je la rejoignais dans son lit quand elle avait peur. Et puis après c’est moi qui avais peur. Alors je dormais avec elle. Jusqu’à mes 17 ans. Etudiante, quand elle revenait en week-end à la maison, on se posait même pas la question. On sortait, c’est elle qui conduisait. Son AX pourrie. On allait à l’Europe. Un petit bar où on se sentait bien. On retrouvait les copains. Pete passait du Mano Solo et distribuer des bananes tagada. L’Europe… Prédiction de nos futurs voyages peut-être…

Quand j’étais gamine je lui écrivais des poèmes. Qui parlent de gouttes d’eau et d’océan.  

" ...Ici, petite goutte est grande
Elle trace son chemin un peu vite.
Comme toute goutte, elle évite
Les grosses averses. Elle est grande.
C’est l’embouchure au loin qu’elle voit,
Donnant sur sa nouvelle voie.
Maintenant voilà l’océan,
Alors qu’elle n’a que 20 ans.
Il n’en finit plus d’être grand
Pour petite goutte en tremblant
Qui regarde l’immensité
Où les petites gouttes rêvent d’aller… "

Maintenant, c’est elle qui m’envoie les mots de Kalil Gibran pour me guider dans la tourmente :

" On dit qu'avant de rentrer dans la mer, une rivière tremble de peur. Elle regarde en arrière le chemin qu'elle a parcouru, depuis les sommets, les montagnes, la longue route sinueuse qui traverse des forêts et des villages, et voit devant elle un océan si vaste qu'y pénétrer ne paraît rien d'autre que devoir disparaître à jamais. Mais il n'y a pas d'autre moyen. La rivière ne peut pas revenir en arrière. personne ne peut revenir en arrière. Revenir en arrière est impossible dans l'existence. La rivière a besoin de prendre le risque et d'entrer dans l'océan. Ce n'est qu'en entrant dans l'océan que la peur disparaîtra, parce que c'est alors seulement que la rivière saura s'il ne s'agit pas de disparaître dans l'océan, mais de devenir océan. "

Drôle d’échos…
Je lui notais les phrases clés de son livre phare, la prophétie des Andes, dans un petit carnet pour le lui offrir : les coïncidences qui façonnent nos vies…

Je voulais partir en voyage pour Noël et mes 40 ans cette année. Je voulais amener mes enfants dans un lieu magique. Au départ, je voulais retourner chasser les aurores boréales en Norvège. Quand j’en ai parlé à ma sœur, elle était emballée et on a tout de suite décidé de rassembler nos deux tribus pour vivre cette aventure. Mais le budget ne nous le permettait pas. Alors on a décidé de s’envoler au pays d’Harry Potter.

Elle a les yeux bleus.
Il parait qu’on se ressemble beaucoup. 
Des fois sur des photos, on sait pas si c’est elle ou si c’est moi.
Elle a les yeux bleus et elle est blonde.
C’est ma sœur. 

Pour mon anniversaire, elle m’a fait les plus beaux des cadeaux : un bel anneau pour mon nez : symbole en Inde de féminité mais aussi de rébellion selon elle. Je lui fais confiance en bon maître yogi qu’elle est. Mais surtout, elle est partie avec moi. Et puis, elle m’a offert un magnifique texte entendu il y a quelques temps, qu’elle a choisi de me faire connaître. Elle a emprunté ces mots à Jeanne Cherhal. C’est juste sublime. Bouleversant.


" Quand je l’ai vue saigner à se plier en deux
Le ventre condamné par des assauts fiévreux
Le corps humide et pâle, étreinte de douleur
J’ai ressenti son mal en pensant : c’est ma sœur.
Quand je l’ai vue chargée de mille poids trop lourds
Assaillie, débordée du jardin à la cour
J’aurais juré qu’en elle, il s’en cachait plusieurs
Mais non, elle était seule. Elle assurait, ma sœur.
Quand je l’ai vue blessée par l’insulte et la haine
Qui pourrissent au fossé de la bêtise humaine
J’ai voulu la chérir et la couvrir de fleurs
Pour conjurer le pire. On fait ça, entre sœurs.
Mais quand je la vois forte avec le poing levé
Déverrouiller les portes et battre le pavé
Reléguer l’impossible au rang des vieilles peurs
Je la trouve invincible, invincible ma sœur.
Quand je la vois naturelle, animale et sauvage
Épouser le futur au rythme de son âge
Creuser sa propre terre et trouver son bonheur
J’en serai presque fière : ce génie c’est ma sœur.
Quand je l’entends chanter l’urgence et l’absolu
L’amour, la liberté, les carcans révolus
Les grands vents dans les blés, les sorcières en chaleur
Je veux lui ressembler ! Et par chance, c’est ma sœur." 

Elle a les yeux bleus.
Il parait qu’on se ressemble beaucoup. 
Des fois, sur des photos, j’ai du mal à savoir si c’est elle ou si c’est moi.
Elle a les yeux bleus et elle est blonde.
C’est ma sœur. 

Elle est toujours là ma sœur. On s’appelle tous les jours quand ça va pas. Un tout petit moins quand ça va bien. C’est chez elle que j’allais me réfugier quand j’étais au bord du gouffre. Chez elle que je fuyais.
Je l’ai veillée ma sœur. Malade, à l’hôpital. On a pas le droit d’être malade quand on a 19 ans. On a pas le droit d’être malade quand on est une grande sœur. 
Je l’ai bordée, je l’ai écoutée, je l’ai soutenue, je l’ai supportée… même quand elle délirait et même quand elle faisait de la merde. 
Je lui ai pardonné.
Elle a fait la même.
Je l’aime.

Avec personne d’autre, je veux vivre des aventures pareilles. Parce que, même quand tout va mal, avec elle, ça va bien.