Avril202025

lettre à Elise

J’aime pas quand on se couche fâchées… J’aime pas quand tu te couches en boudant…

Ça arrive maintenant. Et ça me brise le cœur. Surtout quand je sais que je ne te reverrai pas avant plusieurs jours.

 

Des fois, je vois bien que ça va pas. Je crois que les câlins marchent encore un peu dans ces cas-là, mais j’ai peur que bientôt ça ne suffise plus. Ou que tu ne veuilles plus des miens.

Des fois t’arrives à me dire que ça va pas. Mais tu sais pas d’où ça vient. T’arrives pas à parler. Alors je parle à ta place et tu hoches la tête de haut en bas ou de droite à gauche. Je voudrais te soulager de ce mal-être. Je voudrais te dire que ça va passer. Je voudrais t’apprendre à surfer.

Tu grandis. Tes émotions aussi. Des fois, ça t’embarque et les vagues déferlent sur tout ce qui t’entoure.

En vrai, je sais que tu n’as pas fini de ressentir. Tu grandis et la porte des émotions s’ouvre. Tu te prends parfois un tsunami en pleine face. T’as pas encore appris à sentir les embruns vivifiants dans la tempête. En vrai, des fois, moi aussi je me sens pas bien et je bois la tasse. C’est pas vraiment encore passé ce raz-de-marée d’émotions malgré mon grand âge.

 

Et puis toi, ma toute belle, je sais. Je sais, depuis toute petite la sensibilité qui te caractérise.

Je m’en veux de ce que je te fais vivre. Tu m’as dit un jour que t’étais triste parce que tu voulais une chose du plus profond de ton cœur tout en sachant que ça n’arriverait jamais. Revivre avec tes deux parents.

T’as raison. Ça n’arrivera pas.

Pourtant on veut toujours le mieux pour ces enfants.

Moi je veux te protéger. Guérir tes bobos. T’écouter me parler. Panser tes chagrins.  Je veux t’épargner les griffes de la vie. J’ai foiré. Mais je veux que tu sois heureuse et épanouie. Et je voudrais t’éviter de souffrir un maximum. Parce qu’on a beau dire que ce qui ne tue pas rend plus fort, moi je n’en suis pas si convaincue. Ce qui blesse use.

Mais surtout, moi je veux que tu deviennes qui tu es. Que tu sois actrice ou libraire ou bien les deux. Et même si tu devenais… Je sais pas moi : influenceuse… (peut-être que ça me ferait un peu mal au cul quand même…) Que tu n’aies pas d’enfants ou que tu en aies 12. Que tu vives avec tes amies en coloc’ toute ta vie ou que tu trouves l’amour de ta vie. Je voudrais te permettre d’être qui tu veux. D’être qui tu es.

 

Je voulais pas que tu grandisses trop vite. J’ai l’impression d’avoir mis un grand coup d’accélérateur dans ta croissance il y a de ça plus de trois ans déjà… Faut pas que je m’étonne que tu sois si grande…

Tu grandis et parfois tu m’en veux.

J’avoue y a des fois où je me souviens pas. Je retiens pas le synopsis du dernier livre que tu es en train de dévorer. Parce que c’est le troisième tome d’une longue série dont tu es fan. Et puis parce que quand tu m’en parles, c’est toi qui m’intéresses plus que l’histoire que tu me racontes. Voir ton regard plein d’étoiles. Entendre ton empressement à découvrir la suite. Ça m’émerveille de te voir si passionnée. Et je suis tellement fière de toi.

J’avoue y a des fois où je pense pas à toi. Y a des jours où il y a le linge dans le panier qui attend d’être lavé, la facture du jardin à payer, la liste de courses à faire, les devoirs de ton frère à surveiller, ma nouvelle formation à élaborer, l’urssaf à déclarer, ton escape game d’anniv à créer, un cadeau d’anniv à fleur bleue à trouver, la bouffe à préparer, un scanner à passer…

J’avoue y a des moments où je pensais pas à toi. Parce que ça faisait trop mal de pas te voir grandir tous les jours. Parce que quand tu étais loin de moi, ça me transperçait le cœur. Parce que je trouvais ça trop injuste. Parce que c’était trop douloureux.

 

Tu as tellement grandi. Je te vois devenir une jeune fille. Je suis si fière de toi. Tu es une p’tite ado magnifique, belle comme le jour. Tu es maline, brillante, curieuse, drôle. Je suis tellement fière de toi ma fille.

J’essaye de t’élever comme je peux, te transmettre ce qui me semble important.

Je suis chanceuse.

Je suis chanceuse d’être la maman de cette jeune fille espiègle, drôle et créative, et dans laquelle je me reconnais parfois un peu.

D’ailleurs… tu me piques mes livres, mes chaussures et mes fringues. Tu danses dès que tu peux. Tu t’échauffes dans le salon, pirouettes dans le jardin et t’étires en regardant ton reflet dans la baie vitrée. Tu réécris la saga Harry Potter selon le point de vue d’Hermione Granger, mais aussi un scénar de science-fiction pour ta prochaine série avec tes copines et un roman avec ta cousine. Tu kiffes notre pâte à tartiner choco/coco. Tu rayonnes sur scène, aussi bien quand tu danses que quand tu joues la comédie. T’es une grande fan des grasses matinées et des bains à paillettes. Tu préfères aller au musée ou au théâtre que de sortir faire du vélo. Si t’as un livre en cours, faut pas te parler de faire un tour dehors. Tes amies sont tes piliers et tu es tellement complice avec ton frère… Oui… Ca me fait penser vaguement à quelqu’un…

Des fois quand je t’entends parler, j’entends mes expressions et mes intonations. T’es devenue la reine de l’ironie et du sarcasme et j’ai bien peur d’avoir une p’tite part de responsabilité là-dedans. Pas moyen de passer plus de 20 minutes sans faire une blague. On a tenté ! Enervée, tu m’as mise au défi de tenir toute une soirée sans rigoler… Parce que t’aimes l’humour mais que tu es quand même un brin susceptible. J’ai perdu, bien évidemment… Mais ça t’a détendue. Et ce soir-là, tu t’es pas couchée fâchée finalement.

On partage encore tout un tas d’intérêts. Même si j’ai l’impression que le temps nous sépare. Que le temps d’une complicité d’enfant à maman est révolu. Et que j’en ai loupé un bout… Malgré moi.

 

C’est pas grave, on m’a dit. Il vaut mieux 2 parents séparés qui vont bien que 2 parents qui se déchirent. Certes. C’est pas grave, on m’a dit. C’est le cas de la majorité des familles aujourd’hui. C’est pas grave. Mais ça l’est un peu quand même. Parce que tu me manques tellement. Parce que le temps ne se rattrape pas. Parce que je t’ai volé une partie de ton enfance et de ton innocence. Parce qu’on m’a volé une partie de toi…

 

Et puis, après tout, c’est normal de se séparer de son enfant. C’est normal qu’il prenne son envol. C’est normal qu’il quitte le nid.

Mais pas à 7 ans.

 

Les enfants grandissent toujours trop vite. Je trouve que le temps s’accélère depuis ton arrivée et encore plus depuis ton départ par intermittence. Déjà à ta naissance, j’avais l’impression qu’on m’avait volé un mois de toi. Je devais te garder bien au chaud au fond de mes entrailles encore un moment normalement, mais la maladie en avait décidé autrement. Et puis là, je comptais bien ne pas me rendre compte de chaque centimètre que tu prends. Et ce, jusqu’à ta majorité. Au moins ! Mais là, quand je te retrouve après les vacances, t’as toujours poussé comme un bambou ! C’est peu dire...

 

Finalement quand tu te couches fâchée, moi je te répète quand même que je t’aime. Parce que c’est ça l’essentiel. Que tu sois fâchée, contre moi ou la terre entière, je t’aime. Et puis… En général, quelques minutes ou quelques heures plus tard : tu frappes à la porte de ma chambre… Et tu viens te blottir dans mes bras. J’espère que tu feras toujours ça. En tout cas, ma porte et mes bras seront toujours ouverts. Tu me manques déjà suffisamment comme ça quand t’es pas là pour que tu me manques quand t’es à quelques centimètres de moi.

 

Tu liras pas ça de sitôt. Malgré ton envie de découvrir depuis longtemps les lignes tapées par maman. Mais un jour tu liras. Je te l’ai promis. Pas avant que tu sois grande grande, parce que maman n’écrit pas du tout des textes adaptés aux enfants. Et comme à mes yeux tu seras toujours ma toute petite… C’est pas demain que tu parcourras cette déclaration ! Mais le jour où tu liras, je voudrais que tu saches à quel point je t’aime, à quel point je suis fière de toi et à quel point j’étais, je suis et je serai toujours là pour toi. Qui que tu deviennes et quoi qu’il advienne.

De toute façon, je t’en ai fait la promesse. Même quand je suis absente, je suis avec toi. Au fond de toi. Dans ta tête et dans ton cœur. Et même morte, quand je serai plus là, je serai là ! Je te hanterai au pire. Ça t’avait fait marrer. Je te l’ai dit, tu te débarrasseras pas de moi comme ça ! T’es foutue ! T’as une mère qui t’aime de tout son cœur et de toutes ses tripes. Dans sa tête, dans son cœur et dans son ventre. Donc je serai toujours là ! Un fantôme de tête et de cœur. Je viendrai te chatouiller virtuellement ou te faire une blague pourrie pour te redonner le sourire. Même si t’es triste et même si tu boudes. Surtout si t’es triste et si tu boudes.

Je serai toujours là.

Je t’aime.

Ma fille.