
Janvier062024
Le pire et le meilleur
Mon mec est aux petits soins. On est prêt pour l’arrivée de notre petit pois. Il va nous rejoindre plus tôt que prévu. On s’en doutait. Ces jours-là, on vit dans une bulle. Mon homme et moi on est bien. Même si c’est long. Même si c’est chaotique. Même si je souffre. Même si ça ne ressemble pas du tout à ce qu’on attendait. Le dernier mois est plus qu’éprouvant. Mon homme assure. Il est là. Il est présent. Il me soutient. Lors d’un de nos nombreux passages aux urgences obstétricales, on se met d’accord. Ce petit asticot sera le dernier locataire de mon bidon ! la famille sera au complet. Nous 4. C’est parfait.
Après un mois d’angoisse et de douleurs, de contractions à couper le souffle quasiment en continu, après la menace d’un accouchement prématuré, une hospitalisation de quelques jours, des traitements de cheval pour moi et pour que petit pois soit aussi prêt que possible, les contractions cessent. Bien sûr, on a passé le cap des 37 semaines d’aménorrhée. S’il arrivait maintenant ça serait nickel ! Mais non. Petit pois a décidé de rester au chaud encore un peu. Malheureusement ce n’est pas vraiment possible. L’accouchement est programmé.
On débarque à la maternité. C’est mon sage-femme préféré qui nous accueille. Ça me rassure, c’est bon signe non ? Je vais revivre un déclenchement. Je sais qu’on en a pour un moment. Mais bon, je me dis que c’est un deuxième : ça pourra pas être plus long que pour ma première.
Ricanement !
En plus avec la modification de mon col de l’utérus dès 4 mois et le max de contractions du dernier mois, avec un peu de chance ça sera même presque rapide.
Ricanement tellement plus fort !
En attendant, on va profiter de cette petite bulle avec mon mec. Un moment rien qu’à nous. Et malgré les douleurs et l’attente on est bien. La journée est longue. La nuit encore plus. Je ne ferme quasiment pas l’œil de la nuit. Je marche, je m’étire, je me douche, je m’allonge. Pas trop longtemps, allongée, c’est pire. Et je recommence.
Je compte les minutes.
On m’a dit hier qu’à 8h, j’irai en salle d’accouchement. J’aurai mon bébé bientôt. Le matin arrive.
Enfin.
Ça fait 24h de contraction. J’en peux plus. On me demande d’enlever le tampon de propess, car ça y est, il est l’heure de monter. Mais il n’y a pas que le matin qui arrive. Il y a aussi une multitude de femmes dilatées à 8 qui débarquent à la maternité et qui me grillent la priorité. A ce moment, je les déteste toutes. Toute la matinée, je sens mes contractions décroitre. Moins fortes. Moins régulières. Je sens le découragement pointer le bout de son nez. J’ai pas fait tout ça pour rien !
Vers 13h, ça y est, j’en ai ras le bol. Je dis à mon mec que je veux rentrer chez nous. Qu’on reviendra le lendemain ou même plus tard. Je sens bien que les choses ne se passent pas comme elles le devraient.
Je veux me barrer.
C’est à ce moment que j’entends une voix dans le couloir dire que la 12 peut monter. La 12, c’est moi. C’est mon numéro de chambre. Finalement je verrai peut-être mon bébé dans quelques heures. Je regarde mon homme. Il sourit. Moi aussi.
On est bien tous les deux. On y est. On va faire la connaissance de notre petit bébé. La sage-femme qui nous accueille en salle d’accouchement est une véritable harpie. Déjà, quel âge elle a ? Elle devrait pas être à la retraite ? Mais je m’en fous. Ça y est.
Bientôt mon bébé.
On est bien tous les deux. Je suis branchée. Perfusée. Alitée. Immobilisée. J’ai l’impression d’être une machine au milieu des autres machines. Une sorte d’incubateur quoi. En tout cas pas un être humain. Mon accouchement ne ressemblera pas à ce que je voulais. Je me fais une raison. C’est pas grave. L’essentiel c’est que je connaisse mon petit ninja qui me savate le ventre depuis des mois. Mon mec est là. On est bien malgré tout. Le temps passe. Tiens, ça y est, à cette heure-là, j’avais mon aînée dans les bras ! Ça sera plus long donc. C’est pas grave.
Bientôt mon bébé.
Le temps passe, les procédures se suivent.
Ocytocine, monitoring, prise de tension.
Je ne peux rien faire. Je n’ai même pas le droit de me mettre debout. Encore moins d’aller pisser. Je vois bien que je l’emmerde cette connasse de sage-femme avec mes demandes. Rien d’extravagant pourtant. Juste d’être piquée à droite car je suis gauchère, histoire de ne pas entraver encore plus mes mouvements. Juste de porter un t-shirt en coton plutôt que leur blouse pour limiter mes démangeaisons liées à la cholestase. Juste de ne pas dire le nom de mon bébé avant sa naissance. Juste pas de péridurale tout de suite et peut-être même pas du tout. Elle me regarde avec des yeux de merlan frit. Elle soupire même je crois. Ou elle l’a peut-être pas fait. Mais elle l’a pensé tellement fort que je l’ai entendue ! Bon, mon accouchement ne ressemblera pas à ce que je voulais. Je me fais une raison. C’est pas grave.
Bientôt mon bébé.
Si je peux même pas aller pisser, pas moyen de pisser dans son bassin devant mon mec. C’est bon, de toute façon, je peux pas. Je demande la péridurale. Ça va. Les contractions sont plus que supportables. Bien plus que cette nuit d’ailleurs. J’ai bien essayé de l’expliquer à la sage-femme. Mais bon, je vois bien qu’elle s’en fout et qu’elle accorde moins de crédit à l’incubateur qu’au bip bip des machines d’à côté. Mon accouchement ne ressemblera pas à ce que je voulais. L’anesthésiste me pose la péridurale. On rit. Avec mon mec on est bien. Quelques minutes après, je perds les eaux. J’appelle. C’est bien, le travail continue.
Bientôt mon bébé.
Mais pas trop quand même. Si ça pouvait attendre 20h, le changement de garde, je serais pas mécontente en fait…
Le temps passe et le travail stagne. Le médecin passe. J’ai le droit à un tas d’examens pour essayer de comprendre le pourquoi du comment. J’oublie encore plus l’idée de pudeur quand le gynéco se ramène avec ce qui ressemble à un sabre laser et une lampe frontale. On en rit même avec mon mec. Je crois que la péri ça me shoote un peu. J’ai l’impression d’être défoncée ! L’autre conne pense que je me suis pissé dessus et que je n’ai pas rompu la poche des eaux. Bah je sais pas connasse, t’avais qu’à vérifier que c’était bien du liquide amniotique et pas de l’urine tout à l’heure en fait. C’est un peu ton boulot aussi… Sonde. Vessie pleine. A priori, je ne me suis pas fait dessus. Elle veut percer la poche des eaux. Elle arrive avec son crochet. Elle n’y arrive pas. Le médecin nous explique que ça sera sûrement une césarienne si les choses n’avancent pas dans les prochaines heures. Il est sympa. Il est un peu loufoque mais il inspire confiance. La sage-femme lui demande de tenter de percer la poche des eaux lui-même.
Bientôt mon bébé.
Malgré cela, avec mon mec, on est bien tous les deux. Le médecin finit par réussir à percer la poche des eaux. Tout à l’heure ce ne devait être qu’une fissure.
Ça s’accélère.
Ça devient irréaliste.
J’ai si peur d’un coup.
Une peur qui te dit que peut-être tu ne rencontreras jamais ton enfant.
Tout ça ne dure pas plus de 15 minutes avant qu’il ne m’endorme pour pouvoir littéralement arracher mon bébé de mon ventre.
J’ai peur.
J’ai pas craqué avant.
J’ai entendu le gynéco paniquer.
« Oh putain ! Merde ! Merde ! Merde ! Code rouge ! »
Mais non, c’est pas possible.
Il peut pas dire ça lui.
Il a pas le droit de paniquer.
Si lui, il panique, moi je fais quoi ?
J’ai vu toute l’équipe de la mater débarquer en quelques secondes. Je pensais même pas qu’ils pouvaient être si nombreux. A la fois, il est presque 20h. Le changement d’équipe n’est pas loin. Du coup, il y a tout le monde. Moi qui ai attendu et attendu de pouvoir monter en salle d’accouchement pour la suite du protocole de déclenchement et qui me suis vue doubler par toutes les femmes enceintes jusqu’aux yeux arrivant prêtes à pondre leur marmot ! Moi je réquisitionne tout le personnel !
J’ai entendu des mots : « procidence du cordon ».
J’ai compris.
Je savais que mon bébé risquait de s’asphyxier dans les minutes qui allaient suivre.
Je savais.
C’est pas possible. C’est pas en train de m’arriver !
J’ai senti les doigts du médecin pousser sur la tête de mon bébé malgré la péridurale. Il fallait faire un échange. Pas pratique de pratiquer une césarienne quand on a la main à l’intérieur du vagin de la future maman. Petit moment de flottement. On fait ça où ? Ici ? Au bloc ? Qui prend le relais ?
Moment qui me semble interminable.
Je vois mon sage-femme. Celui qui nous a accueillis la veille. Celui qui était là lors de mon hospitalisation. C’est lui qui se propose. Ouf. En lui, j’ai confiance. Il me rassure. Il est là. J’oublie toutes douleurs. J’oublie toute pudeur.
Ils attendent la fin d’une contraction et je me retrouve avec deux mains à l’intérieur de moi.
Je suis ailleurs et j’ai tellement peur.
Il faut aller au bloc.
Mon sage-femme grimpe avec moi sur le brancard. A genous entre mes jambes. Y a du sang, du liquide amniotique. Partout. Ça gicle. On se croirait dans un épisode de Grey’s anatomy. Sauf que la patiente c’est moi. Mon mec ne peut pas nous suivre. Mais il est là quand même. Alors qu’ils m’emmènent, je l’entends me dire « Je t’aime, je suis là. Tout va bien se passer. » ou quelque chose du genre. Enfin, il me dit juste ce qu’il faut. Ça me fait du bien l’espace d’une micro-seconde. Je respire. Je garde mon calme autant que possible. Je prie aussi je crois. Ouais, moi, je prie… Mon sage-femme me parle tout doucement. Je me raccroche à sa voix : « T’inquiète pas, je sens le pouls de ton bébé battre dans le cordon… ». On m’installe sur la table d’opération. Nouveau changement de position. Nouvelles giclées de sang et de liquide amniotique. La connasse de sage-femme qui m’a accompagnée tout l’après-midi me fait gentiment remarquer qu’elle m’avait prévenue que j’aurais pas dû demander la perf à droite plutôt qu’à gauche car l’anesthésiste installé à gauche de la table d’opération doit changer de côté. Elle m’aura vraiment fait chier jusqu’au bout celle-là. Je lui réponds, je ne me laisse pas faire mais je sais pas où je trouve la force de le faire aussi poliment. Ou c’est peut-être de la faiblesse plutôt. La faiblesse de ne pas lui dire d’aller se faire foutre. Le gynéco me demande le nom de mon bébé. Je lui dis à travers mon masque à oxygène. Il faut que je dise son nom. Il faut que je le nomme auprès des autres.
Et puis je m’endors.
A mon réveil, je demande des nouvelles de mon bébé.
Il va très bien.
Il est avec son papa.
Et c’est là.
Maintenant.
Je m’effondre.
J’ai jamais eu aussi peur de ma vie.
Je le rencontre enfin ! Il est parfait ! Je l’aime si fort ! J’ai eu si peur !
Et c’est le début d’un jour sans fin dans ma tête. À chaque fois que je ferme les yeux, je revis chaque instant, chaque minute. Je vois, j’entends, je sens. Alors je ne ferme plus les yeux. Je ne dors pas. Je regarde mon enfant.