
Octobre272024
La honte doit changer de camp
Une fois j’ai eu peur.
Je me suis dit plus jamais. Qu’est-ce que j’ai fait pour me retrouver dans une situation comme celle-là ?
Je me suis sentie « fille » dans toute sa dimension vulnérable de petite chose fragile à la merci de n’importe quel mec ayant plus de force que moi (c’est-à-dire tous les spécimens mâles de plus de 11 ans…). Je ne veux plus jamais me sentir fille comme ça.
Parce qu’une fille, c’est pas ça. C’est fort, c’est puissant, c’est beau. C’est grand, c’est complexe, c’est important. C’est doux, c’est bienveillant, c’est compréhensif. C’est dur, c’est brut, c’est agressif. Se sentir fille c’est se sentir soi !
Moi, j’avais pas peur.
Je m’arrête un instant : ces pensées ne s’adressent pas aux « oui mais pas Moi ! », « pas tous les hommes », « mes copains, ils font pas ça »… Encore heureux pas tous les hommes ! Mais si. Dans tes copains, y en a qui font ça. Peut-être même qu’ils s’en rendent pas compte. Ou qu’ils s’en foutent. Que c’est pas un sujet. Et oui. Tes copines, tes sœurs, ta meuf, tes filles ou ta mère, elles ont TOUTES subi ça d’une manière ou d’une autre. Et parfois ça se termine bien plus mal.
La question n’est pas qu’il existe des mecs bien sur cette terre. D’ailleurs, y en a plein dans cette histoire aussi des mecs bien. Le problème, c’est le comportement de certains qui se croient tout permis sous prétexte qu’ils ont un pénis entre les jambes.
Moi j’avais pas peur.
Je me suis déjà faite emmerder, comme toutes les filles, et ce, dès l’arrivée en cours de récré : soulevage de jupe, mains au cul dans le métro, interpellation subtile la nuit, sifflement intempestif, drague reloue au bar…
Le sexe parce que c’est ce qu’on attend de moi alors que j’en ai pas envie, j’ai connu et ça fait un bail que je me suis dit « plus jamais »…
Ça me faisait pas peur. Ma licorne de barman préférée de l’époque avait fait remarquer à l’un de ces imbéciles que je n’avais pas besoin d’un mec pour prendre ma défense et que j’étais bien capable de recadrer les couillons insistants par moi-même, quand bien même il m’appellerait « la magnifique blonde de tout à l’heure » alors que la seule blonde présente à ce comptoir tout à l’heure se trouvait dans ma pinte. Capable donc, et ce, de manière très explicite :
« Non. »
« T’es trop près. »
« Me touche pas. »
Majeur dressé aussi… j’avoue. Je suis pas diplomate à 2h du mat’ quand tu ralentis avec ta caisse pour suivre mon rythme de piétonne et me signifier ta présence…
Le dernier recours, lâche, mais toutefois efficace : « oui, c’est ça, t’as raison je suis lesbienne ». Seule raison envisageable aux yeux de ces messieurs siiiiiiii subtils et siiiiiii charmants pour refuser leurs avances… et s’il le faut, je suis prête à rouler une pelle à n’importe quelle sista consentante dans un rayon de 3m.
Bref, j’avais pas peur. Mais là, je dormais.
Dernier jour de taf avant l’été, je me retrouve en festi. L’année a été rude. Mes envies de tout plaquer ont tapé très fort à la porte. Il est temps de faire une pause. Je revois ce mec qui me plaît bien finalement. Ça me fait du bien. J’ai tenu 3 mois à tout péter. Je suis nulle. Aucune volonté. Je me prépare pour le départ en vacances avec mes enfants, mais avant ça, je les ai pas encore. Je vais donc faire le plein de musique et de bonnes ondes. Ce jour-là, c’est l’anniversaire de mon divorce. Yeah ! Autant dire que le mood est pas ouf. J’ai un problème avec les dates. Je peux pas être seule.
J’ai besoin de décompresser et de ne pas penser. Festival. C’est parfait pour ça. Je retrouve une copine qui est venue à vélo. On a prévu de repartir ensemble. Après quelques concerts, on retrouve un copain intermittent qui bosse là et s’en suit une soirée improbable pleine d’alcool et de challenges plus saugrenus les uns que les autres. On devient journalistes le temps de passer certaines entrées. On s’incruste dans le carré VIP. On découvre la vue quand on est sur scène. On se fait payer du champagne dans des endroits où j’ai jamais foutu les pieds en festi et on se fait même remboursé nos consignes de gobelets ici pour les troquer contre des flûtes à champagne (mais je crois qu’elles étaient en plastique aussi… quelle déception !). On fait un tour avec un électricien dans une voiturette de golf. Et on finit la soirée derrière la scène principale avec les monteurs, à boire de la bière tiède et du pastis pendant que le dernier concert se termine. Autant dire que je suis particulièrement saoule. C’est au milieu de tout ça que je reçois un message d’un garçon pas vu depuis un moment qui me propose de le rejoindre sous sa tente au camping. « Pourquoi pas ? » Je me dis au départ. Mais la soirée ici n’est pas finie. Et puis un moment j’ai envie. Un moment j’ai plus envie. C’est que j’ai pas vraiment envie. En plus, le camping me semble archi loin. Et vu mon état et mon sens de l’orientation légendaire y a pas moyen que je retrouve une tente dont je ne sais rien de la forme, de la couleur ou de l’emplacement… et vu comme je suis physionomiste, je suis même pas sûre de reconnaître ce mec… Ça fait plusieurs mois que je l’ai pas vu et là, en plus, il fait nuit… Bref, énième changement de plan dans ma tête. J’irai pas le retrouver. Je lui envoie un message où il manque les voyelles pour lui dire qu’on essaye plutôt de se voir le lendemain.
Oui, mais voilà. Maintenant, y a plus de navette. Ma copine est partie. Je me sens pas de rentrer à pied jusqu’à chez moi. Parce que même à jeun, c’est loin. Donc là, je tente pas ! Et à ce moment-là, l’idée d’appeler un uber ne me traverse absolument pas l’esprit… Je demande donc à mon pote intermittent si je peux dormir dans sa tente et rentrer chez moi le lendemain matin, quand il fera jour. Il me prévient qu’il a pas fini sa soirée, qu’il va pas se coucher tout de suite et qu’il ronfle. Je lui dis que je suis pas capable de rentrer, que j’ai pas envie de retrouver ce mec finalement, que j’ai juste besoin de ne pas être toute seule parce que c’est une journée éprouvante pour moi et que de toute façon, je vais m’endormir en 2 - 2 étant donné mon taux d’alcoolémie. Il me prend dans ses bras quelques secondes pour me réconforter et retourne faire la fête avec les autres.
Je m’affale dans sa tente en lui piquant son oreiller, je ferme les yeux et je dors.
Quelques heures plus tard, la fermeture s’ouvre. Quelqu’un se laisse tomber sur moi de tout son long et de tout son poids et hurle mon prénom en me « proposant » de venir dormir dans sa tente. C’est un des monteurs de tout à l’heure. Je suis surprise. Réveillée instantanément malgré la cuite. Et tout de suite la peur m’assaille. Je peux pas bouger. J’ai la force d’un moineau asthmatique. Et j’ai beau avoir une grande gueule, s’il a décidé de vraiment me faire chier, je peux rien faire. Je bouge pas. Je réponds fermement « Non. Y a pas moyen. » Il réitère son « invitation » plusieurs fois à quelques centimètres de mon oreille. Lui, il joue, je crois. Mais moi, je le connais pas. C’est pas mon pote. Moi, j’ai peur. Je répète « Y a pas moyen ». Il s’en va. Et je dors plus vraiment. Mon pote vient se coucher un peu après. Je dis rien. Je somnole à moitié. Sur le qui-vive. Impatiente de pouvoir rentrer chez moi.
Il s’est rien passé. C’est pas grave. Il jouait. Il s’est rien passé. C’est pas grave. Il jouait. Aucune raison de psychoter. Mais j’ai eu peur. J’ai pris conscience de ma faiblesse, du fait que je pouvais pas faire grand chose. Que dire « non » ou « stop » c’est pas forcément suffisant. Et je pouvais même pas lui mettre un pain… C’est une douche froide. Pourtant, je le savais déjà. Mais j’y pensais pas et je refusais de me refuser quoi que ce soit sous le prétexte que je suis née fille et qu’il faut que je fasse « attention ». Faire attention à quoi au juste ? Mais là, à ce moment-là, je la sens mon impuissance, ma vulnérabilité, comme une sorte d’infériorité… j’ai peur et je déteste.
Mais après réflexion je me dis que je n’ai rien fait de mal ou de dangereux. J’ai dit non. Rien dans mon comportement ce soir-là ne ressemblait à une invitation que je lui aurais adressée. On s’est quasiment pas parlé. Et quand bien même ça aurait été le cas : On ne s’allonge pas de tout son long sur une fille qui dort.
Et quand elle te répond « Non. Y a pas moyen. » le message est limpide. Tu te casses. T’es pas le bienvenu. Aucune ambiguïté là-dessus. Ça sert à rien de brailler. Ça sert à rien de répéter. Un non c’est un non.
Là où je m’en veux aujourd’hui, c’est que c’est moi qui me suis sentie mal après ça. J’ai eu peur. J’ai eu l’impression d’avoir fait un truc que je n’aurais pas dû. Je me suis sentie sale, honteuse.
Peut-être que j’avais un comportement inapproprié ? J’avais beaucoup bu après tout.
Je suis revenue sur le site du festival le lendemain. Je l’ai recroisé vite fait. Je suis partie tôt. Et finalement, j’ai pas fait la 3ème soirée. Après ça, j’étais moins sereine dans la rue en rentrant chez moi. J’étais moins confiante seule. J’ai pensé au pire quand mon chauffeur au Sri Lanka est tombé en panne. Je me sentais en sécurité que dans les bras de ce mec qui me plaisait bien. Ça m’a tenue un moment ce sentiment d’angoisse mêlé de honte et de remise en question.
Pourtant, je suis pas responsable de la connerie de certains mecs qui ne réalisent absolument pas le degré de leur inadaptation. Lui, il a même pas tilté. A la rigueur, il s’est dit que sa blague était pas top. Il a réalisé qu’il m’avait fait peur que bien après. Il a fallu que je le lui dise quelques mois plus tard. Et que je le lui explique. Société patriarcale de merde ! Il s’est senti con et désolé. Mais… Ça laisse des traces… On devrait pas avoir à expliquer ce genre de chose.
On devrait pas se sentir mal parce que peut-être qu’on était trop saoule, ou peut-être qu’on aurait pas dû danser avec ce type, ou peut-être que notre jupe était trop courte ou était juste une jupe en fait…
On devrait pas se poser de questions sur notre attitude, notre physique, notre comportement, notre posture, notre consommation d’alcool, notre façon de bouger ou de regarder… à cause d’un mec qui pense qu’il peut tout se permettre sous prétexte qu’il est un mec.
Je veux plus avoir peur.
Mais je veux continuer à faire ce que je veux. Ce qui me plaît. Avec qui je veux et qui me plaît.
Et pouvoir dire non en étant entendue.
Sans être considérée comme, au choix, (cochez les réponses possibles) :
Une allumeuse,
Une pute,
Une casse-couille,
Une féminazie,
Une lesbienne,
Une rabat-joie,
Un objet,
Une « tu l’as un peu cherché quand même »…
La honte doit changer de camp.