Février232024

L'histoire racontée par... des chaussettes

…J’en ai parlé à mon frangin.

 Une soirée encore. Ou plutôt un matin où on refait le monde  et où on danse et où on chante et où on boit. Et puis il ne reste que nous deux dans le froid du jour qui se lève.

 Mon frère aussi traverse une période difficile. Je vois bien qu’il ne va pas bien…

 

Mon frangin, c’est ma conscience.

 Une conscience qui ressemblerait à une marionnette chaussette qui apparaît sur mon épaule pour me dire ce que je sais déjà.

 Mais il le dit à voix haute le con !

 Il me connaît par cœur. Il est chiant pour ça d’ailleurs. Impossible de lui cacher quoi que ce soit. D’ailleurs on se ressemble beaucoup et on a tendance à réagir un peu de la même façon. Il ne me juge jamais et il sait souvent avant moi ce que je vais dire ou faire. C’est chiant. 

 Mais… Grâce à lui, j’ai pas honte.

 

Il m’aime fort. Il est même fier. Même quand je dis ou fais de la merde. Il me voit. « Il voit à travers mes défenses et moi au travers des siennes et ça nous a jamais éloigné ou dérangé. Bien au contraire. » Il me voit lui aussi comme une chaussette : « mais une putain de chaussette, une guerrière de sa tribu, la p’tite sœur de son cœur, qu’il protégera toujours, une femme forte, sensible, généreuse avec un brin de cinglerie ». Qu’est-ce qu’il peut dire lui aussi comme conneries ! Ça me donne envie de le frapper. En vrai, je le fais souvent. Lui aussi d’ailleurs. Ça fait mal. Parce qu’il tape fort le con. Et moi, j’ai la force d’un moineau asthmatique. De toute façon, dès l'âge de 3 ans il me poursuivait avec une hache ou me frappait avec un marteau. En bois le marteau. Mais quand même. La hache par contre... un modèle classique. Mais qui met une hache dans les mains d'un enfant de 3 ans ? En tout cas aujourd'hui, ça fait marrer mes gosses qui me trouvent folle et qui nous prennent pour des gamins.

 

…Forcément il me conseille ce que je sais déjà.

Il a raison ce con.

 

Je le sais.

 

Mais j’y arrive pas.

 

J’ai pas envie.

 

J’ai un nœud dans le bide.

Je crois même que ça me fout la gerbe.

 

Pour mon frangin, c’est la merde aussi.

D’ailleurs, ça n’a jamais vraiment été… je le voyais bien au début, mais je pensais que les choses s’étaient arrangées. C’est simplement qu’il n’en parlait plus. Pourquoi ? Peur du regard des autres ? Peur du jugement ? Conviction que les choses allaient finir par s’arranger ?

 J’ai arrêté de m’inquiéter pour lui.

 J’aurais pas dû.

 

Sa vie en ce moment, c’est pas une vie. Il prend soin d’elle comme il peut. Il veut la sauver. C’est son gros problème à lui. Il veut sauver tout le monde. Mais ça le dépasse. Et il en fait les frais. Presque tous les jours. D’ailleurs c’est pour ça qu’ils sont arrivés en retard ce soir. Encore une crise. C’est d’une violence... J’avais pu en avoir l’aperçu, il y a quelques années, en vacances ensemble. Grosse crise. De quoi ? J’en sais rien.  Ça crie, ça se barre, ça pleure, ça insulte, ça appelle, ça se planque, ça respire plus… pfffff… j’en ai perdu un sac de gambas à la Boqueria ! Le temps de la retrouver, de la raisonner, de la convaincre de rentrer… Foutus les crustacés ! ça m’avait saoulée ! Et ça m’avait donné une de ces envies de la secouer…

 

Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle ne va pas bien. Et que leur relation se teinte de ça. Il passe son temps à arrondir les angles, à chercher à la mettre à l’aise, en valeur. Mais aussi à la protéger. Des autres, mais aussi et surtout d’elle-même. Il a peur. Constamment. Qu’elle se fasse du mal. Qu’elle se laisse submerger. Que ses pétages de plomb l’amènent à en finir. Les pompiers sont intervenus plusieurs fois. Il sait plus quoi faire. Il s’oublie complétement. D’ailleurs, c’est vrai qu’il a changé. Il marche sur des œufs constamment. Il n’existe presque plus en tant qu’individu propre. Il ne parle plus jamais de lui sans parler d’elle. Il ne dit plus « je », il dit « nous » ou « elle ». Tout est défini en fonction d’elle. Et de leur couple. C’est malsain. C’est une nana sympa pourtant finalement. Elle est attachante et j’ai appris à l’aimer … après une longue période, c’est vrai… et après lui avoir dit ses quatre vérités, d’accord… qu’elle était « pas loin d’être une connasse » et pour le coup, cette fois-ci le terme de connasse n’avait rien d’affectueux dans ma bouche. La perte de mes crevettes a été dur à avaler… J’ai la rancune tenace. Mais elle a aussi des bons côtés. Elle est écorchée. Elle souffre. Mais elle fait souffrir mon frère. Et ça, ça m’est insupportable. Il n’a plus la force de se battre pour la sauver. Et puis, est-ce qu’il l’aime encore ? Est-ce qu’il se voit continuer à ses côtés ? Il a envie d’avancer dans la vie. Il a envie d’une famille. D’avoir des enfants. Mais pas comme ça. Il peut pas faire vivre ça à ses futurs enfants. Il a besoin de réfléchir.

 

On a besoin de se parler. Je lui conseille ce que je peux. Je crois qu’il sait déjà lui aussi… Il me conseille ce qu’il peut. Je sais déjà. Mais j’ai pas envie de le faire…