Mai262024

KA MATE

Y a quelqu’un qui compte très fort dans ma vie. C’est mon pilier. C’est pourtant pas son poste au rugby. 

Il est brillant… mais pas toujours. C’est mon âme-frère. Il me ressemble beaucoup. Je l’aime fort.

 

Cette histoire commence à la poste pour retirer du liquide.

 Non.

Cette histoire commence avec un fusil de chasse pointé entre les yeux.

Non. 

Cette histoire commence avec une clé rangée dans le pare-soleil.

Non.

En fait, elle commence par un match de rugby.

Et puis par un championnat.

Par contre aucune idée du résultat. Il paraît qu’ils ont gagné…

 

Il s’est remis au rugby. Il a le physique. Petit. Trapu. Le nez pété. Ça colle bien. Ça fait du bien de reprendre le sport !

Il s’est remis à la 3ème mi-temps aussi. Faut dire qu’il a jamais vraiment arrêté, et c’est par la 3ème mi-temps qu’il a rencontré ses nouveaux acolytes.

Y a une super équipe. Très bonne ambiance. Ça gueule. Ça chante. Ça se met des tapes dans le dos. Ça picole. Chansons paillardes sous anis. Tout en finesse. Rugby quoi…

Il s’investit dans le club. Ils ont même fait de lui le trésorier ! Des génies !

 

C’est la fin de la saison. La tradition c’est de fêter ça quelque part perdus en plein milieu de la France, dans un trou paumé. Sûrement dans la Creuse. Ils ont trouvé un gîte pas cher, une ancienne boîte de nuit au milieu des champs. Mais pas loin du gîte où ils crèchent, y a un petit village. Et dans ce village y a un troquet, enfin un PMU/tabac/presse/poste/charcuterie. Et puis pas loin version rugbyman… Faut marcher quand même un brin.

Ils ont retourné le bar. Vidé les fûts. Pompé dans les réserves. Fait le chiffre d’affaires de la taulière pour le mois voire pour l’année. Il paraît que grâce à eux, elle va pouvoir partir en vacances cette année-là. Y a plus rien à boire. Plus rien. Plus une goutte d’alcool. C’est l’heure de rentrer.

 

La soirée se termine. Il fait nuit. Il faut payer. C’est lui le trésorier, donc il s’acquitte de sa mission.  Il part avec le dernier wagon. Mais il a envie de pisser. Il prévient avec un vague « attendez-moi les gars ». Vu l’état, la phrase ressemblait plus probablement à « attt… ils sont où ? ». Se sont mis en route sans lui. Pas grave. Il se souvient du chemin. C’était à gauche. C’est sûr. Et sûrement qu’en coupant à travers champ, tout droit, à vol d’oiseau, le gîte est : en face. Il est saoul comme un rugbyman. Le concept du tout droit est fluctuant. L’idée de passer par les champs sans lampe frontale et plus de batterie dans son téléphone est une idée de génie. Il se paume. S’empale sur des barbelés. Saigne. Tombe. Se retrouve nez à nez avec des vaches. Il voit au loin une grande bâtisse et décide de s’en rapprocher. Il glisse. Dans une fosse à purin. Quand on touche le fond il y a toujours une fosse à purin pour tomber encore plus bas. Les distances sont interminables.

 

De l’autre côté du champ, c’est pas du tout le gîte. Mais il y a une ferme. Et 2 voitures. Une neuve. Belle. Une Range Rover. Et une vieille. Rouillée. Une BX.

 

Il est fatigué. Il veut rentrer se coucher. Et bourré, c’est pas une flèche. Il se dit que ces voitures c’est un signe ! Elles n’attendent que lui comme pilote chevronné. Il essaye d’ouvrir la première. Fermée. Il essaye la deuxième. Yalla ! Il rentre. Il se pose au volant. Avant de commencer à vouloir la faire démarrer avec les fils version « petit caillera de la campagne », il ouvre quand même le pare-soleil au cas où. La clé lui tombe sur les genoux. Avec son cerveau infusé au pastis, il est sûr que ça aussi, c’est un signe. Et puis il en a marre, il est dégueulasse, il pue. Même complétement aviné, il s’en rend compte. C’est décidé, il rentre en caisse. Avec la BX. Il la ramènera demain à son propriétaire. De toute façon, si elle est sur son chemin c’est qu’il y a une bonne raison !

Il démarre. Passe la première. Est-ce qu’il a allumé les phares ? Même pas sûr. Fait 500 m. Se prend un talus. Normal. La voiture est coincée. Il continue à pied, rongé par la culpabilité. En longeant la route, il finit par arriver au gîte.

On pourrait se dire que l’histoire finit ici.

 

 Mais non.

 

Car c’est un génie ! Et son deuxième prénom c’est Belzébuth. Et que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Il prend donc la voiture d’un pote, va sortir la BX du talus et la remettre à sa place. Genre ni vu, ni connu. La voiture est juste ravagée.

 

Assis au volant, il ferme les yeux. Juste 2 min. Parce que franchement, il est crevé.

 

2 min ou 2h plus tard. Il se retrouve avec un fusil sur le front. Et au bout du fusil, un paysan somme toute, mécontent.

Va falloir s’expliquer très vite. Il sort les mains en l’air, couvert de purin, de sang, d’alcool et de gerbe : « je peux tout vous expliquer ».  Cette phrase n’annonce jamais quelque chose qu’on peut comprendre aisément. Et il pense tout bas : heureusement que l’autre voiture était fermée !

Il se retrouve chez l’agriculteur furieux à prendre l’avoinée de sa vie. Mais avec un café quand même. En joue avec un fusil. Mais un p’tit café quand même. On est pas des sauvages dans la Creuse.

 

Va falloir acheter la BX. Sinon c’est les flics qui débarquent. Pfff… Pas fun…

 

Le fermier l’accompagne jusqu’à la poste. Moins 800 balles sur son compte en banque. Il a vidé son livret A ! Pas moyen de faire passer ça comme note de frais du club de rugby.

 

Il rentre au gîte. À pied. Il va pas la prendre la BX, juste la toute nouvelle carte grise à son nom. C’était pas une idée de génie finalement. Il fait jour maintenant. Il se repère mieux. C’était pas à gauche après le bar. L’était parti à l’opposé le garçon.

 

Le petit bonus de cette aventure, la pépite, la cerise sur le gâteau : une fois arrivé, il va pouvoir se doucher. Enfin ! C’est là qu’il réalise qu’un de ses potes a vomi dans son sac… Sûrement une question de karma…

 

Et c’est comme ça qu’il est devenu propriétaire d’une BX pourrie dans la Creuse.

 

Moralité : y en a pas !

Du bon sens : y en a pas non plus.

Les rugbymen n’ont aucune morale et ne sont pas toujours des génies.

 

« Ce n'est pas parce qu'il est violent que j'aime le rugby. C'est parce qu'il est intelligent. »

Françoise Sagan