Juin302024

Je suis pas tout seul à être tout seul

" Vis, danse, ris, aime, cours, découvre, vibre, profite. Ne perds jamais de vue l’essentiel : l’histoire a vraiment une fin. "

 

Avant même de découvrir ce mantra qui existe bel et bien dans je sais plus quel bouquin de Virginie Grimaldi, j’en avais adopté une partie : Danse, Ris, Aime. J’en avais même fait un t-shirt. A paillettes bien sûr le t-shirt.

 

Je vis avec un sentiment d’urgence. J’ai une soif de vivre tellement présente que ça en est vertigineux.

 Et si tout s’arrêtait demain ? Est-ce que je serais satisfaite ?

 

Bizarrement, c’est dans les moments où tout va pour le mieux, où je suis au top de ma forme, où tout roule comme j’en ai envie, que je me dis que je pourrais mourir. Ici et maintenant. Ça serait cool. J’aurais aucun regret. Au contraire dans les moments sombres, je me dis que c’est pas possible. Que je peux pas finir là-dessus. Que de toute façon, tout passe. Je me raccroche au fait que cet état n’est pas définitif… même s’il peut parfois être durable.

Ça me ferait vraiment chier de mourir en ayant envie de crever en fait.

 

Mais y a un pendant à ça.

 

Jadis, une ex-copine, de mon ex-vie, m’a parlé d’un de ces copains. Après la rupture avec son mec, il a fait une tentative de suicide. Une TS on dit dans le jargon. Elle était choquée qu’il puisse faire une telle chose. Incompréhension totale, avec cette pensée qu’il commettait un acte tellement égoïste. « Et les autres alors ? Et ceux qui restent ? ». Mais quand on en arrive là, quand on a envie d’en finir, ça n’a rien à voir avec les autres. On est seul face à soi-même. On ne peut pas comprendre ça quand l’idée ne vous a jamais traversé l’esprit sérieusement.

 Avant, ça me révoltait aussi. Les suicidaires me mettaient en rage. J’ai un p’tit passif… En tant que faisant partie des « autres », de « ceux qui restent ».

J’ai toujours eu une relation particulière au suicide.

Toute jeune, je pensais beaucoup à la mort. Genre, quand je vidais le panier à couverts du lave-vaisselle, je pouvais me demander ce que ça ferait de s’ouvrir les veines avec un couteau à dents. Dans mon bain : est-ce que ça saignerait longtemps ? Est-ce que c’est douloureux ? J’avais pas vraiment envie de mettre fin à mes jours. Juste que ça me fascinait. Je crois que ça fait partie de ce qu’on appelle des phobies d’impulsion. Plus tard, ça m’a passé. C’est revenu faire un tour dans ma tête à la naissance de mes enfants. Le traumatisme aidant. Je me suis vue laisser tomber ma fille de la falaise. La privation de sommeil aidant. Je me suis vue jeter mon fils contre un mur. Effrayant. Il parait que c’est assez courant. Violent quand même ce qui passe parfois par la tête.

 

J’ai des fragilités à ce niveau. Je le sais.

Déjà, y a des antécédents familiaux. Qui ont laissé leur part de trauma.

Quand j’avais 19 ans, mon grand-père a fait une énième tentative. Avant celle-là, je savais pas. Ma mère ne nous en avait jamais parlé. Mais manifestement ma grand-mère l’avait déjà retrouvé dans des situations similaires. Ce jour-là, il est monté dans sa voiture, garée dans son garage. Il a allumé le moteur. Il a attendu de perdre connaissance. Une vieille AX bleue marine. La voiture qu’il m’avait donnée la veille, parce que j’avais eu (enfin) mon permis. Je devais aller la récupérer après ma journée de job d’été.

La veille tout allait bien.

On s’était dit à demain.

Violent.

C’est pas moi qui l’ai trouvé. C’est l’aide à domicile qui devait passer le voir. Il a été hospitalisé après ça. Il est jamais retourné chez lui. J’ai jamais pu aller le voir à l’hôpital. J’étais tellement en colère. Ça m’aveuglait. Il s’en est jamais vraiment remis. Il allait tellement mal. J’ai jamais pu monter dans cette foutue voiture non plus. Que mes parents ont récupéré par la suite. Quelle idée ? Pas moyen que je mette un pied dans cette caisse.

 

Quand j’avais 24 ans, mon frère a dû maintenir ma mère pour qu’un urgentiste du SAMU lui injecte un calmant, après l’avoir retrouvée hurlante et s’arrachant les cheveux, errant sur la voie ferrée à côté de chez nous.

Violent.

C’était quelques jours avant ou après mon mariage. Je l’ai appris que des années plus tard. Mon frangin âgé de 19 ans alors a pris soin de tous, comme à son habitude. 

J’étais sidérée.

 

Plus tard, c’est ma tante qui s’est préparée un p’tit cocktail cachetons/sky.

Violent.

Son fils nous avait appelés après coup. Il avait besoin d’aide pour l’aider.

J’ai pas pu le faire.

J’étais trop en colère.

 

Et puis le reste… un copain de copain, un oncle dans l’ex belle-famille, une nièce d’une amie…

Ça me bouleverse toujours autant ces histoires.

 

Mais aujourd’hui, je les vois plus de la même façon.

On a une vision différente des choses quand on a eu un jour l’envie de ne plus se réveiller le matin.

 

Je suis désolée. Et je comprends.

 

Mais en fait, pour moi, cette pulsion de mort elle va de pair avec une pulsion de vie.

Très fort.

J’ai revu ce copain qui me semblait pas en pleine forme l’été précédent. Ça faisait des années qu’on s’était pas croisés mais j’avais appris qu’il avait traversé l’enfer. 2 fois. La perte d’un être cher, c’est déjà quelque chose de bien difficile à vivre, mais là… Rien de pire à mes yeux que de perdre son enfant. De le laisser partir. Dans ses bras. 2 fois. J’avais pris 2, 3 nouvelles après cette soirée. J’avais envie de m’assurer qu’il allait bien. Et entre nos échanges de banalités qui n’ont pas d’autre sens que « Tu vas bien ? », « c’est ok de pas aller bien », « je pense à toi », moi je me suis pris mon dernier p’tit tsunami en date : 20 ans de ma vie balayés avec quelques mots : « Tu me fais pas du bien. Elle, elle me fait du bien. » Je sais pas pourquoi, mais je me suis confiée à lui. Il a été présent. Il m’a soutenue. Il comprenait. Il s’était pris un tsunami du même genre puissance 10 quelques temps avant.

Dans nos échanges je sentais bien qu’il avait touché le fond et qu’il revenait d’ailleurs. C’est à cette époque que Stromae avait fait son grand retour avec l’Enfer et, sans vraiment savoir, je lui avais partagé ce nouveau titre.

J’ai eu, pendant cette période des pensées loin d’être roses. La reprise des antidépresseurs était pas vraiment suffisante pour les éloigner complétement.

 …Ces matins où tu te réveilles et pendant un quart de seconde tu oublies…

T’as l’impression que rien n’a changé.

Puis, tout de suite, tu te reprends une vague de réalité.

T’as pas envie de te lever.

Non c’est pas vrai. C’est plus que ça.

T’as pas envie de te réveiller en fait.

Mais tu le fais quand même parce que t’as la gerbe, alors tu vas vider ta bile au-dessus des chiottes parce que de toute façon ça fait des jours que tu bouffes rien.

C’est ça qui se passe quand tu t’endors : t’espères te réveiller le plus tard possible ou ne pas te réveiller du tout.

Ce copain, il m’a portée pendant quelques crises d’angoisse.

Je sais pas s’il s’en rend compte.

D’à quel point j’allais pas bien.

Mais je crois que si. Il avait une grille de lecture que peu de gens ont.

Il m’a beaucoup aidée. On a échangé pendant quelques mois. Il a suivi les toutes premières étapes : le choc, les questions, le doute, la culpabilité, la rupture, la cohabitation, l’errance à droite à gauche sans domicile, le déménagement, le vide… Et puis un jour je suis passée le voir.

Il a mis des mots sur ce que j’avais deviné, sur ce qu’il avait traversé.

Y a pas de mots.

 

Ce soir-là, on a fini par s’embrasser. Et passer la nuit ensemble. La première nuit que je passais dans des bras autres que ceux de mon ex. J’avais besoin de ça. Une pulsion de vie pour compenser les pulsions de mort.

Et puis, en me portant comme la brindille que j’étais à l’époque, jusqu’à son lit, il a prononcé des mots qui ont un peu pansé mes plaies. Je lui plaisais déjà bien il y a 20 ans. Il n’aurait jamais imaginé que ça puisse arriver.

…J’en avais vraiment aucune idée. C’était le beau gosse de la bande de lascars. J’étais pas du tout le genre de meufs avec qui il sortait : le genre bimbo. Comment dire… Même quand j’ai été blonde, j’ai jamais ressemblé à une bimbo…

Moi je suis une coquille vide à ce moment-là de ma vie. Je crois plus en rien. J’ai le cœur ouvert en deux. Ce qu’il me dit là, même si c’est pas ses mots, c’est « tu vaux quelque chose », « et ça a toujours été le cas ». Ça me remplit. Ça me soigne.

Il me prévient qu’il veut pas de relation par contre. Je ris ! Mais moi non plus !

Je suis pas un être humain actuellement. 

Je suis une écorchée.  

Et puis demain, je crois bien que j’ai un date Tinder avec un Tanguy avec qui je n’ai pas du tout envie non plus de construire quoi que ce soit. 

Je construis pas en ce moment.

Je suis en chantier.

Je déblaie.

 

Entre deux baisers, il me demande s’il peut me dire une connerie : « je t’aime ». Je ris ! Non t’es pas amoureux, tu regoûtes juste à un p’tit bout de vie. Ça faisait longtemps. Il a des yeux magnifiques. Ça fait du bien. Il panse mes plaies. Merci.

On a échangé quelques messages encore après ça. Puis on s’est de nouveau perdu de vue. Avec un p’tit goût de vie qui revient.

Aujourd’hui je comprends.

 

Seulement voilà. Je me rappelle. Et jamais, au grand jamais, je voudrais faire traverser ça à mes enfants. D’être « les autres », d’être de « ceux qui restent ». Alors je suis vigilante. Quand ça va pas, je veux dire : vraiment pas. J’appelle. Je me fous un grand coup de pied au cul. Je sors. Je me fais violence. Je ravale ma fierté et ma bile. J’avoue. Je suis faible. C’est pour ça que malgré ma nature, je me protège.

Je vis trop fort.

Avoir tellement envie de crever ça va bien quand on a foutrement tellement envie de vivre. Vivre. Pas vivoter. Pas survivre.

J’ai envie de dire que ça n’ira plus jamais aussi mal de toute façon. Mais on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve. La vie est belle mais la vie est fourbe aussi.

La vie est une pute. Et c’est pas très sympa pour les putes.

On dit que ce qui ne tue pas rend plus fort. Je suis pas convaincue. Ce qui tue pas fait vachement mal quand même. Ça rend pas plus fort. Plus résilient au mieux.

Plus fort, c’est des conneries.

C’est l’accoutumance à la putasserie de la vie qui fait que tu peux encaisser de plus en plus de merdes. Mais faut pas oublier que si tu te prends une trop grosse dose de « ce qui te tue pas te rend plus fort » c’est l’overdose. Le suicide c’est ça aussi. Une overdose de putasseries.

 

Illustration : Zaza