
Février112024
Bois de l'eau
Je suis pas mal occupée. Faut que je pense à plein de trucs. Je suis pas obligée. Je pourrais ne pas me rajouter de trucs supplémentaires comme programmer de partir en Afrique par exemple. C’est vrai. Mais quitte à être occupée, j’aime autant l’être par des trucs cools et pas seulement par la logistique, l’intendance et les trucs chiants du quotidien. En règle générale, je vis pas trop mal la pression. Enfin c’est l’impression que j’avais. C’est ok d’avoir plein de projets et de toute façon je fonctionne comme ça. Sinon ça m’ennuie. Mais faut croire que finalement, la pression me rattrape et je parle pas des bières au comptoir. Mon corps dit stop manifestement.
Aujourd’hui j’ai mal. Et aujourd’hui faut pas être malade. C’est du grand n’importe quoi. Notre système de santé fout le camp. Je le savais. Je le vis en tant que soignante. J’aime déjà pas. L’accès au soin est de plus en plus complexe. L’accompagnement n’en est plus un. Et le soin est un service. Notification à l’acte. On oublie tout ce que la maladie, la douleur ou le handicap engendrent.
Je me suis réveillée avec une sale douleur au flan droit. Elle est pas normale cette douleur. Clairement, elle nique sa mère. J’appelle le 15. La conclusion de cet appel : « prenez un spasfon, allez chez votre médecin et buvez de l’eau ». Je peux pas me déplacer connard ! Et alors « buvez de l’eau »… « BUVEZ DE L’EAU »… Best advice ever ! Bon je veux bien admettre qu’un diagnostic par téléphone, c’est pas simple. Mais quand même, avec un peu de recul, c’est quand même caractéristique comme symptômes ce que j’ai. Et à la base, j’ai fait dans le classique. Moi, calcul rénal, c’est une première. Connais pas. Mais lui… Il est médecin, il bosse au SAMU. Bordel, il en a vu d’autres c’est sûr ! Même s’il est pas sûr, ça aurait dû lui traverser l’esprit. Et y a un truc à ne pas faire en pleine crise de colique néphrétique. Un seul. C’est boire beaucoup d’eau… Putain, lui, je le déteste. Conseil de con. Quand ton uretère est bouché, va pas te mettre le rein en tension. C’est débile ! La douleur flambe. Jamais eu aussi mal de ma vie. Enfin, j’ai accouché deux fois. Franchement, y a compét’. Après coup, je me dis que 30 h de contractions c’est long et douloureux. MAIS, il y a des variantes. Au départ, ça vient et ça repart. Ça va crescendo. Et puis à l’arrivée t’as un bébé. Tu sais pourquoi t’en chies. Et la récompense est pas mal. Là, ça aura duré moins de 3h. Mais non stop. Sans aucune accalmie. Sans aucun truc qui te soulage. Tu bouges pas, t’as mal, debout t’as mal, assis t’as mal. Tu marches t’as mal. Allongée t’as mal. Tu respires t’as mal. Bisou magique t’as mal. Tu respires plus t’as mal. Tu bois de l’eau… Ah si c’est possible d’avoir encore plus mal.
Une copine m’amène chez le médecin. Mon généraliste pose le diagnostic en 2/2 et m’envoie aux urgences. Trajet le plus long de ma vie. A deux doigts de vomir dans sa bagnole. Je chiale. Je jure. A l’accueil je tiens pas en place. Heureusement il n’y a personne et ils m’embarquent immédiatement. Je me retrouve toute seule avec un infirmier dont je ne me rappelle même plus le visage mais que j’aime d’amour puisqu’il m’a filé de la morphine. Ça soulage. Mais c’est de courte durée. Après un premier scanner, je fais une réaction chelou à la morphine. Ça va pas du tout. Des spasmes. J’ai la cage thoracique prise dans un étau. Ça réveille mon rein droit. Et après vérification que mon cœur n’est pas en train de lâcher, le verdict est : on va arrêter la morphine. Super ! Cette journée est vraiment trop pourrie et c’est même pas un jeudi ! Deuxième scanner. Cette fois, ils m’amènent carrément en brancard. Je peux même pas bouger. Retour du scan, bilan du médecin urgentiste : « y a bien un calcul qui bouche l’uretère. Il est tout petit. » Alors d’abord, je t’emmerde. Et on a dit, c’est pas la taille qui compte. Normalement y a pas besoin d’opération mais infection en rab. J’ai pris le combo. Et là, il dit trop de mots que j’aime pas dans une seule et même phrase : risque imminent, avis chirurgienne, urgence, pyélonéphrite, septicémie, opération, sonde, AG. C’est dans le désordre mais quand tu fais une phrase avec tout ça c’est forcément une phrase qui pue. Euh, je peux prévenir quelqu’un quand même. Oui oui. Mais faut pas traîner. Quelques minutes après ils m’amènent au bloc.
Mais moi j’aime pas l’hôpital, j’aime pas les anesthésies, j’aime pas les urgences. Mauvais souvenirs. Je me dis que la dernière opération en temps de covid c’était peut-être une répét finalement pour pas paniquer plus aujourd’hui… C’est mon combo : complications/opération d’urgence et opération solo/système hospitalier pourri. Challenge !
Petit remember…
Alors opération en temps de covid, juste après le déconfinement, c’est juste génial ! Je ne suis déjà pas sereine face à l’intervention chirurgicale. J’avais déjà laissé traîner ça plus d’un an… C’est pas tant la procédure, somme toute assez anodine. C’est le retour à l’hôpital, l’anesthésie, la chambre de réveil… Je sens déjà remonter tous les souvenirs de la naissance de mon petit loulou et son lot de traumatismes qui vont avec. Bref, je ne suis pas sereine. Déjà, t’y vas tout seul comme un grand. Tu profites d’un super dépistage 2 jours avant. Alors moi, la narine droite, y a pas moyen, ça passe pas. C’est pas que c’est trop douloureux (même si ça l’est du coup), c’est juste que ça ne passe pas, anatomiquement parlant je veux dire. Donc on peut arrêter d’insister peut-être. Tu dois récupérer les résultats des tests impérativement sous peine de re-reporter l’intervention. Résultats que tu ne récupères pas bien sûr, mais qui seront à l’hôpital à ton arrivée, si, si, promis c’est sûr. Résultats qui ne sont pas là à ton arrivée à 7h du mat bien sûr aussi. Alors c’est à ce moment-là que j’ai commencé à penser très fortement à me barrer en fait… Heureusement je ne suis pas la seule dans cette situation. Je devais être opérée à 8 h. il est 8h15 je ne suis toujours pas entrée dans le service. Les résultats arrivent enfin. C’est la course. Il y a déjà presque une heure de retard et la journée n’a pas commencé. Tout le monde râle. Je les comprends bien. Mais moi, je suis juste en stress total. L’angoisse commence à monter sévère. Je me rattache à la réalité. J’essaye d’être objective. Cette intervention n’a rien à voir avec la précédente. Je ne risque pas de perdre mon enfant. Ce n’est pas le même hôpital. Pas les mêmes couloirs. Pas le même chirurgien. Rien à voir. Mais comme je le craignais les souvenirs reviennent très forts. Mes larmes coulent toutes seules sur mes joues. J’explique rapidement à l’infirmière compatissante qui me prépare. Elle a quelques mots rassurants dans les 3 minutes où je la vois. Mais 3 minutes c’est pas assez. Le brancardier m’emmène. Il me trimballe dans tout l’hôpital pour me déposer devant le bloc opératoire. Mes larmes coulent encore. Lorsqu’il me laisse devant la porte du bloc, il me dit, pour me rassurer sûrement, que le docteur Truc va arriver très vite. Je tilte et l’interpelle : « Mais c’est le docteur Bidule qui est censé m’opérer en fait ! » « Ah oui… » il fait « C’est pas là alors. ». Et c’est reparti pour une série de portes et de couloirs. C’était vraiment PAS DU TOUT là ! Même pas à côté en fait ! Putain c’est une blague ! Je crois que si je n’étais pas en train de pleurer je pourrais partir dans un fou rire nerveux ! Je suis enfin face au bon bloc opératoire. Les infirmières remarquent que je ne suis pas au top de ma forme. Elles appellent l’anesthésiste. Il est super. A l’écoute. Très rassurant. Il m’écoute. Comprend. Me parle. M’explique les procédures, les lieux, les personnes. Me donne des repères auxquels je peux me rattacher pour m’ancrer dans la réalité du moment. Le chirurgien passe avant l’anesthésie. C’est bon je le connais lui. C’est bien lui qui est censé m’opérer ! Tout ça ne dure pas plus de 10 minutes. Mais ça suffit à ce que je m’endorme plus calme, plus apaisée.
Je me réveille en position fœtale. C’est bon. Je me souviens. Mon bébé va très bien. Il est déjà presque plus un bébé d’ailleurs. J’entends les infirmiers qui se plaignent encore des conditions de travail, des procédures qui changent tous les jours, du matos qui manque, des demandes absurdes dans cette période toute pourrie. C’est bon c’est passé. Ça va. J’ai juste trop mal partout ! Surtout aux épaules. La vache ! C’est fou ça ! Rien à voir avec la zone d’intervention. C’est la coelioscopie il parait. Faudrait prévenir avant, parce que c’est surprenant quand même ! Surtout quand on a commencé par te déposer devant le mauvais bloc opératoire !
Le réveil se passe pas trop mal cette fois-ci. Yeah ! Faut juste que je rentre chez moi vite vite vite. L’hôpital c’est pas l’hôtel ! Faut dégager! nan mais oh ! Et puis c’est bon, introduire une sonde de 20cm de long par ton urètre pour te l’enfiler jusqu’au rein, c’est pas si douloureux. Mauviette ! C’est pas comme si t’avais des rasoirs dans le ventre et que tu pissais le sang. De manière très littérale. Bah si. Bon d’accord. Ça fait moins mal que ce matin. Mais TOUT fera toujours moins mal que ce matin ! Espèce de fragile ! Rentre chez toi. Va t’occuper de tes 2 gosses. Démerde-toi et bois de l’eau. On en revient au conseil du 15 de ce matin. La boucle est bouclée.